Rennes, ville à croquer
La capitale bretonne s’engage dans une transition écologique reposant notamment sur la valorisation de l’agriculture urbaine.
Totnes, la pionnière des villes en transitionEn 2005, Rob Hopkins emménage à Totnes, au sud-est de l’Angleterre. Cette petite ville de 8 000 habitants devient le laboratoire d’idées de cet enseignant en permaculture qui a une grande ambition : passer de la dépendance au pétrole à la résilience locale. Selon lui, en effet, « réduire les émissions de gaz à effet de serre sans constituer de résilience ne peut qu’être futile à la longue ». La première expérience de « ville en transition » est née, fondée sur l’organisation entre citoyens. Depuis, les initiatives foisonnent : une monnaie complémentaire pour consommer local, une friche-dépotoir transformée en jardin collectif, un café n’utilisant que des aliments invendus récupérés auprès des grandes surfaces de la région… Et un chantier participatif pour isoler les toitures des maisons s’est ouvert. Les habitants engagés dans ces collectifs de quartier ont bénéficié d’une aide financière pour équiper leur logement de panneaux photovoltaïques. Une dynamique devenue mondiale puisque des groupes « ville en transition » ont éclos dans 1 200 communes, formant un vrai réseau d’alternatives urbaines. |
Bienvenue dans la plus grande ferme de Rennes mais la plus petite de Bretagne ! », lance joyeusement Mikaël Hardy, en guise de mots d’accueil. À la lisière de la ville, dans le quartier de la Prévalaye, cet agriculteur s’occupe depuis un an de Perma G’Rennes, la première micro-ferme intensive maraîchère en permaculture implantée dans la capitale bretonne.
Un petit sentier orné d’une haie d’honneur de courges matures guide le visiteur jusqu’aux 5 000 m2 de terre dévoilant un écosystème savamment travaillé. Dans les serres blanches, semblant elles aussi sorties du sol, quelques plantes originales attirent l’œil et titillent les papilles. Goût d’ananas, d’huître, de fromage et même… de Coca-Cola ! « Les restaurateurs les ont découvertes cet été, ils en sont fous ! », s’amuse Mikaël. Sa production de fruits, légumes, plantes et confitures, il la vend en direct sur le marché entièrement bio implanté sur le mail François-Mitterrand, en centre-ville, tous les mercredis. « On n’utilise ni pesticides ni mécanisation. On ne désherbe même pas », souligne-t-il en montrant les herbes folles en liberté.Dans cet écrin de verdure, les cris des footballeurs amateurs se mêlent au chant des oiseaux, et l’odeur de l’humus couvre celle, très âcre, des particules fines planant au-dessus de la rocade, à quelques mètres. Jusque dans les années 1980, le site de la Prévalaye était le « grenier à légumes » et la fabrique de beurre de la ville. Puis les agriculteurs ont disparu, les terres sont devenues des friches. La ville, qui en possède toujours 300 hectares, a décidé de les utiliser à bon escient en facilitant l’installation de paysans bio, motivés pour sensibiliser les habitants. Travaillant depuis plus de dix ans dans le milieu naturaliste, Mikaël se transforme sans difficulté en enseignant de permaculture le week-end. « Chaque semaine, plus de 25 personnes viennent à la ferme ! Les urbains recherchent du lien social, pas seulement de la vente directe. »
Entre deux averses, Soizic et Alex, en stage à la ferme, profitent d’une éclaircie pour s’atteler à leur tâche de la matinée : recouvrir de paille les tas de fumier disposés autour des parcelles de culture pour qu’ils ne sèchent pas. Et à l’ancienne ! Pas de tracteur, mais un cabrouet, affectueusement surnommé « crève-panse », une sorte de charrette à traction humaine, vieille de 200 ans. « Ce n’est pas pour le folklore, c’est vraiment plus pratique que la brouette et ça ne creuse pas le sol », explique Mikaël.
Rennes assume depuis des années cette double personnalité ville-campagne, grâce à la préservation de sa ceinture verte et à son modèle de ville-archipel, permettant d’arriver dans les communes et les bourgs en quelques minutes en voiture. Le retour à la nature représente l’un des leviers essentiels de la transition écologique de la ville : les 90 jardins partagés répartis dans tous les quartiers, les potagers familiaux, la reconquête des berges de la Vilaine, les projets de fermes urbaines, de forêts nourricières…
Engagé dans le mouvement des Incroyables Comestibles, qui prône la végétalisation de la ville et le partage des récoltes, Gaël Lorin a soumis l’idée d’inscrire Rennes au label « villes et villages comestibles de France ». L’un des critères est l’autosuffisance alimentaire – « et pas l’autonomie ! Cela rappelle trop l’autarcie, le repli sur soi, ce qui est l’inverse de la philosophie des Incroyables Comestibles », précise-t-il en se promenant dans le jardin aménagé sur le toit de la Maison de la consommation et de l’environnement, à deux pas de la gare.
Une ambition qui résonne avec le plan Alimentation durable de la ville, en réflexion depuis 2014. L’objectif : atteindre 20 % d’aliments bio et locaux dans la restauration collective (entre 10 000 et 12 000 repas par jour) d’ici à 2020. Selon une étude prospective menée par des étudiants de l’Institut national supérieur Agrocampus, intitulée « Rennes, ville vivrière », la métropole pourrait nourrir ses 420 000 habitants grâce à ses terres, en élargissant sa ceinture de seulement 6,3 km. Ce scénario commence à se réaliser puisque, en janvier 2017, on en était déjà à 14 % d’approvisionnement local dans les cantines, en combattant le gaspillage alimentaire et en garantissant la qualité de la nourriture.
Depuis deux ans, la société publique Eau du Bassin rennais a mis en œuvre le programme Terre de source, faisant d’une pierre deux coups : régler le problème récurrent de la qualité de l’eau bretonne et importer des produits locaux et bio pour nourrir les habitants. « Nous achetons des terres proches des sources d’eau dans le bassin de Fougères et proposons à des agriculteurs de s’y installer grâce à des loyers attractifs. En échange, ils s’engagent à développer des modes de production biologiques sur ces parcelles », explique Yannick Nadesan, conseiller municipal (PCF) délégué à l’eau et président d’Eau du Bassin rennais. Le premier marché public, représentant 50 000 euros, concerne trois producteurs, deux éleveurs de porcs et un laitier, qui fixent eux-mêmes le prix de leurs denrées, achetées par la collectivité. « Nous sommes dans une logique de conciliation entre protection de la ressource naturelle et protection de la vie économique et sociale de nos campagnes », poursuit l’élu.
Si les projets d’agriculture urbaine pullulent et trouvent des relais institutionnels pour les porter, le développement des énergies renouvelables reste plus timoré. « C’est un angle mort. Seulement 8 % de notre énergie est produite sur le territoire, reconnaît Matthieu Theurier, conseiller municipal EELV et vice-président de Rennes Métropole à l’économie sociale et solidaire. La ville ne s’en est jamais vraiment préoccupée, elle n’a développé ni les compétences ni les moyens pour mener une politique efficace de déploiement des renouvelables. »
Le réseau de chaleur urbain, principalement alimenté au bois, est un faible alibi, mais des réflexions sont en cours pour équiper des bâtiments publics en panneaux solaires. Selon Enercoop Bretagne, trois édifices de la ville et deux lycées sont alimentés par ce fournisseur d’électricité 100 % renouvelable, et 800 Rennais y ont adhéré.
« La majeure partie de nos émissions de gaz à effet de serre provient du logement et des mobilités. Pour les diminuer et atteindre notre objectif de ville post-carbone à l’horizon 2030, tout le territoire doit se mobiliser, des élus aux entreprises, sans oublier les citoyens », déclare Daniel Guillotin, élu municipal chargé de l’écologie urbaine et de la transition énergétique.
Le budget participatif de 3,5 millions d’euros joue un rôle de baromètre, très précieux pour identifier les attentes citoyennes. « Cela a pu surprendre la majorité municipale, mais l’essentiel des projets inscrits par les habitants porte sur la végétalisation de la ville, la transition énergétique et les déplacements à vélo », glisse Matthieu Theurier. Sur ce dernier point, les critiques pleuvent, car les bandes cyclables ne sont pas assez sécurisées, et la voiture est encore omniprésente. La mise en service de la seconde ligne de métro est prévue pour 2020, et le vote d’un plan Vélo et d’un plan Piétons devrait changer la donne.
La dynamique rennaise semble sur la bonne voie, grâce à un tissu associatif très dense et à des initiatives citoyennes spontanées. Mais ce nouveau modèle de ville peut-il faire système ? Pour Adrien Krauz, doctorant au Laboratoire Architecture, Ville, Urbanisme, Environnement (Lavue), un certain flou entoure encore le terme de « ville en transition » : « Une vraie ville en transition doit être une ville durable, et pas seulement une éco-ZAC. Elle doit satisfaire les besoins fondamentaux (se nourrir, se chauffer, se déplacer, etc.) en s’adaptant au changement climatique. Il peut y avoir des communs, mais la transition signifie aller vers de nouveaux mondes, au pluriel, c’est donc l’inverse d’un unique système alternatif. »
Malgré le volontarisme politique et les idées foisonnantes des habitants, il est toujours difficile de fissurer le mur en béton de la croissance, économique et urbaine. Le projet EuroRennes fera émerger le futur quartier d’affaires autour de la gare – d’autant que la nouvelle ligne à grande vitesse relie la capitale bretonne à Paris en moins d’une heure et demie. Dans les communes limitrophes, le grignotage des terres agricoles se poursuit. À Noyal-sur-Vilaine, le nouveau plan d’urbanisme envisage de construire un lotissement sur trente hectares de terres agricoles situés en zone constructible. De l’autre côté de la métropole, les élus de Bruz souhaitent résilier partiellement le bail rural d’un agriculteur bio, dont la famille cultive ce sol depuis des générations, pour implanter une surface commerciale avec un magasin de bricolage et un centre automobile.
En somme, en ville, les citoyens veulent faire revenir la faune et la flore à la place du macadam ; dans les campagnes, les citoyens se battent pour garder la nature présente loin du béton.
source : politis